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dimanche 16 septembre 2012

Les entoproctes ou kamptozoaires.

Pour faire original par rapport à l'article précédent sur les némertes, les entoproctes représentent eux aussi un groupe dit « mineur » (bien que pas si rare) et très peu enseigné. S'il fallait vraiment vous les décrire (qu'est-ce que je ne ferais pas pour vous hein), je dirais que ce sont de petits organismes, pas plus grands que quelques millimètres, en forme de calice, solitaires ou coloniaux. C'est à dire qu'ils sont en forme de « verre à vin ». Ils sont fixés, pour les pauvres solitaires, à un pied puis un pédoncule relie ce pied à une forme de bol entouré d'une couronne de tentacules entourant la bouche ET l'anus. Le nom entoprocte signifie justement ça : ento signifiant dedans et procte signifiant anus. Et dedans quoi ? L'anneau de tentacules. Pourquoi insister là dessus ? Parcequ'un autre groupe considéré auparavant comme proche (ensuite séparé et pour tout vous dire, récemment proposé comme finalement proche... Oui la phylogénie c'est aussi compliqué que décrire un entoprocte), appelé ectoprocte (pour anus en dehors de la couronne de tentacules cette fois-ci). On considérait ectoproctes et entoproctes comme proches et on les mettait dans le groupe des « bryozoaires » qui signifie « animaux mousse) simplement parce que ces petits animaux, recouvrant des surfaces rappellent les mousses. Imaginez quand même que jongler entre les deux mots « entoprocte » et « ectoprocte » est un exercice difficile... Tout comme les décrire ! Comme nos deux compères à l'anus en dedans et en dehors ont ensuite été séparés, il a bien fallu faire quelque chose du mot « bryozoaire ». Il a donc été considéré comme exclusif à « ectoproctes » (pas les stars de cet article qui sont, pour insister, les entoproctes !). Par ailleurs on appelle aussi les entoproctes « kamptozoaires », "kampto" signifiant "courbé" probablement en référence au tube digestif en U. Ce mot a le mérite de ne pas être facile à confondre avec « ectoprocte ». Maintenant donc que je vous ai bien embrouillé, je vais utiliser plutôt le mot kamptozoaire, ce sera plus simple. Les ecto... heu... ento... les kamptozoaires donc sont des heuuu ben voilà, je ne sais plus où je voulais en venir...

Les entoproctes = kamptozoaires
Voici donc ces drôles d'animaux. Ne ressemblent-ils pas à des fleurs ?

Comme dit plus haut, les kamptozoaires, sont des organismes ou solitaires ou coloniaux. Sans entrer dans les détails philosophiques (qu'est-ce qu'un individu ? Quand parle t-on de colonie ? Peut-on avoir un kamptozoaire de compagnie ?), cela signifie que certains kamptozoaires vivent reliés entre eux par un "stolon", c'est à dire une structure éventuellement en contact avec le substrat (le sol ou un autre organisme) qui relie les individus. La reproduction sans sexe (ne vous en faites pas, ils pratiquent aussi la reproduction sexuée, j'y reviendrai) se fait d'ailleurs parfois aussi par bourgeonnement du stolon, c'est comme ça qu'on a des colonies. Ce bourgeonnement se fait aussi au niveau du pédoncule, c'est à dire de la tige. Et chez certaines espèces c'est au niveau du calice (le "bol" ou la "fleur" comme on veut) que s'effectue la reproduction asexuée. J'en ai d'ailleurs profité pour vous nommer les trois zones des entoproctes. Evidement les individus solitaires n'ont pas de stolons et le pédoncule est fixé par un disque adhésif. Il existe une structure "le complexe de cellules étoilées" qui permet la circulation des fluides entre le pédoncule et le calice, c'est en quelque sorte le coeur (nos amis ont beaucoup de coeur... Surtout pour les grosses colonies...). Ce sont des organismes acoelomates, c'est à dire qu'il n'y a pas de cavité interne creusée par le mésoderme, tout est rempli de "mésenchyme". Le pédoncule est la partie "constante" de l'organisme, capable de régénérer un calice. Cependant c'est le calice qui porte les organes principaux, c'est plus ou mois le corps de l'animal, c'est là que débouchent la bouche et l'anus. Il est entouré de tentacules ciliés qui en battant vont amener la nourriture en suspension dans l'eau à la bouche. Ce sont donc des organismes "suspensivores". Ah oui et donc ce sont des organismes strictement aquatiques (j'oublie parfois de commencer par le plus important) ! Le tube digestif en forme de U se situe donc uniquement dans le calice. On y trouve aussi un ganglion nerveux. Cependant le système nerveux n'est pas cantonné au calice et, fougueux comme il est, va s'aventurer jusque dans pédoncule pour innerver les muscles de ce dernier. Il y aurait même des témoignages disant que le système nerveux, sous forme de plexus (de réseau quoi) va jusqu'au stolon. Mais ça n'aurait pas été vu chez toutes les espèces. Encore une fois pour des animaux végétant et à forme de végétaux il y a des muscles, un tube digestif touça, touça. Seule une espèce Loxosomella davenporti, le grand explorateur des kamptozoaires a été surpris à se déplacer activement. 

Les entoproctes = kamptozoaires
Voici un schéma récapitulant la morphologie des kamptozoaires.

Venons en un peu justement à la biologie de ces organismes ! Comme je l'ai dit ce sont des organismes aquatiques, pour la plupart du temps sessiles (c'est à dire immobiles), sauf l'espèce cité juste avant. Tous les kamptozoaires sont marins. Tous ? Non ! Un genre résiste encore et toujours à la règle générale en biologie (oui ce n'est pas la première fois que je la fais cette blague mais elle est trop tentante) : le genre Urnatella ! Quand je vous disait que malgré leur air humble nos amis sont de grands explorateurs (en tout cas ils essayent). Les organismes filtreurs sont souvent fixés, en effet, il suffit juste de récolter les particules en suspension dans l'eau (donc ça les contrait aussi à être aquatiques). Cependant se déplacer c'est bien aussi pour se disperser et trouver des endroits plus propices. Il y a la solution bourrine, vraiment se déplacer comme Loxosomella davenporti. La solution envahissante : créer une colonie qui s'étend. Et la solution subtile : utiliser un véhicule. Beaucoup de kamptozoaires sont en effet des "épibiontes" c'est à dire qu'ils vivent sur d'autre animaux comme les siponcles ou les annélides. D'autres ont même l'idée étrange de squatter des organismes qui ne se déplacent pas (mais doivent offrir une certaine protection) comme les bryozoaires (vous savez les ectoproctes, ceux avec lesquels on s'embrouille avec les entoproctes...). Certains kamptozoaires sont solitaires ou coloniaux... 

Les entoproctes = kamptozoaires
Urnatella, le seul kamptozoaire d'eau douce. Vous remarquerez que la diversité morphologique n'est pas ouf dans ce groupe...

Faisons alors un petit détour vers la systématique. Un article de phylogénie moléculaire publié en 2010 propose de séparer les kamptozoaires en solitaires et coloniaux, chose qui avait déjà été proposée auparavant ! Attendons que cela se confirme mais c'est intéressant. Les kampozoaires sont ensuite divisé en familles que je ne détaillerai pas mais sachez qu'elles se basent sur la présence ou pas d'un complexe de cellules étoilées, sur la musculature du pédoncule et sur la manière dont la colonie est organisée. Quant à leurs relations de parentés avec les autres animaux elles sont un peu plus floues. Si au départ ils ont été rapprochés des bryozoaires sur la base de la couronne de tentacule, le tube digestif en U et de la colonialité, ils en ont ensuite été séparés. En effet, la couronne de tentacules appelée lophophore chez les bryozoaires (et d'autres groupes) n'est pas tout à fait organisé de la même manière chez les kamptozoaires (pas du tout en fait). Ils ont ensuite été rapprochés des mollusques et des annélides dans les « spiraliens » (hypothèse de la classification phylogénétique du vivant que je donne à la fin ici). Notamment des mollusques sur la base du système circulatoire, une cuticule chitineuse mais surtout une larve rappelant les mollusques avec un pied qui permet la reptation. Cependant maintenant ils sont considérés proche des cycliophores, un groupe énigmatique découvert récemment. La morphologie de la larve de kamptozoaire rappellerait les cycliophores mais aussi la bouche. Cependant, pour rendre les choses plus compliquées, un certain nombre de caractères rapprocheraient les cycliophores des bryozoaires. Dans ce cas les cycliophores et kamptozoaires seraient proches et les bryozoaires proches de ces deux comparses. Au final, entoproctes et ectoproctes se retrouveraient proches avec comme nouvel invité les cycliophores. Les phylogénies moléculaires tendent vers cette hypothèse mais voyons ce que l'avenir nous réserve ! 

Les entoproctes = kamptozoaires
Les différentes hypothèses phylogénétiques autour des kamptozoaires.

Et bien, vous voyez, on peut en raconter des choses sur un si petit groupe... Et je n'ai pas fini, restez ! Je n'ai pas encore parlé de la reproduction sexuée et de la larve (je suis sûr que vous êtes restés jusque là pour ça petits coquinoux !). La plupart des entoproctes sont hermaphrodites, c'est à dire à la fois mâles et femelles. Sur certaines colonies on trouve cependant parfois des individus soit mâles ou femelles mais la colonie elle est hermaphrodite. Les spermatozoïdes sont lâchés dans la nature et la fécondation se fera dans l'ovaire, elle est intra-ovarienne. Donc reproduction sexuée mais pas de sexe... Les œufs sont ensuite évacués dans la cavité du calice appelée « atrium » où ils vont être incubés. Protégés dans une enveloppe, une fois la larve prête à visiter le monde cette enveloppe se rompt et la larve s'en va à l'aventure. Cette larve semblable à une larve trochophore a un tube digestif en U retourné (tube digestif ∩ chez la larve quoi). En général elle se nourrira de plancton, on parle de larve « planctotrophe » (mangeuse de plancton) mais parfois elle vie sur ses réserves, on dit qu'elle est « lécithotrophe » (mangeuse de vitellus, l'équivalent du « jaune d'œuf « ). Après avoir bien nagé pendant quelques heures pour les flemmardes à plusieurs semaines pour les plus péchues, elle se fixe au substrat (un organisme ou un support quelconque) et va l'explorer avec son organe « préoral ». Puis elle va se fixer une fois à l'aise. L'anus et la bouche vont se fermer et un évènement extraordinaire va se produire : la métamorphose. Mais pas n'importe comment ! Le tube digestif en ∩ va pivoter de 180 degrés et donc passer en U ! En voilà qui ne font pas les choses à moitié ! Ainsi le tube digestif sera orienté comme il faut ! L'ensemble du système nerveux dégénère et se reforme ! Puis entre la partie fixée et le reste va se former le pédoncule. Ouais, ça c'est pas de la métamorphose toute pourrie de têtard (comment ça je chouchoute plus les petites bêtes bizarres ?) ! Dans d'autres cas ce sera plus simplement un bourgeon qui se formera à partir de la larve et donnera le premier individu.

Les entoproctes = kamptozoaires
Illustration du développement larvaire. La photo du haut montre un individu incubant les oeufs.

Je ne peux pas, par ailleurs, m'empêcher de vous raconter à quel point il est amusant de regarder une colonie de kamptozoaires vivante. Lorsqu'un individu se sent agressé, il secoue le calice d'une manière brusque (ça donne l'impression d'un coup de tête). Cependant ce coup de tête est donné à son voisin (les individus peuvent vivre serrés sur une colonie). Ce qui va faire que le voisin va donner aussi un coup de boule qui sera transmis à son voisin etc. créant des vagues de coups de boules ! Ce qui est plus drôle c'est que parfois le premier individu à donner un coup de boule semble le faire sans raison ou juste pour embêter ses « frères » (en fait même ses jumeaux/clones puisqu'ils font partie de la même colonie) ! Voici donc la vie d'un kamptozoaire : se chamailler à coup de têtes avec ses frères toute sa vie sans raison ! Aventureux mais pas malins...

Posons-nous un peu la question de pourquoi y a t-il tant de groupes qui ne sont pas ou peu étudiés et encore moins enseignés et de ce que j'entends en général par « grand groupe ». En tant que systématicien ma vision est assez particulière et si je fais des articles entiers sur des groupes inégaux (un article sur les mammifères et un (bien plus long) sur les kamptozoaires) c'est pour une raison particulière. On parle en zoologie a niveau large de phylum ou d'embranchement. Cette notion, extrêmement discutable est pourtant pratique puisqu'un phylum ou un embranchement regroupe des organismes au plan d'organisation similaire alors qu'entre phylums, le plan d'organisation diffère. En gros, trois phyllums ont un plan d'organisation si différent qu'il est impossible à première vue, sans études approfondies, de savoir si deux parmi les trois sont plus proches entre eux que du troisième voir si l'un est inclus dans un autre. Chaque phylum est donc un groupe morphologiquement facilement identifiable même si leur importance écologique ou en nombre d'espèces change beaucoup entre phylum. Les Micrognathozoa ou les Placozoa ont tous deux une espèce en leur sein alors que les arthropodes en ont plus d'un million ! La diversité de forme chez les cnidaires ou les mollusques est gigantesque alors que chez némertes ou les kamptozoaires, c'est plutôt homogène. D'un point de vue phylogénétique la notion de phylum est-elle aussi très discutable : c'est une notion morphologique et non pas phylogénétique. Mais j'y reviendrai plus tard, lors de l'article sur les acanthocephales... Au final beaucoup de groupes comme les kamptozoaires sont considérés comme "mineurs" parcequ'ils ont peu d'espèces. Cependant comme leur morphologie est originale et unique, ils sont indispensables à prendre en compte si on veut bien comprendre l'évolution des animaux. Pas si anecdotiques au final... Tout comme cet article qui a été (encore une fois) plus long que prévu !

Les entoproctes = kamptozoaires

Les entoproctes ou kamptozoaires sont des:
-Bilateriens
-Lophotrochozoaires
-Eutrochozoaires
-Spiraliens
-Entoproctes ou kamptozoaires